Nyansapo, le silence est d'or: Sess Essoh

23 Septembre - 20 Novembre 2021

Fort de ces expériences, une voie plus rebelle s’ouvre à lui, inscrite dans l’analyse critique de la société, témoin de l’érosion du positivisme mais aussi de la falsification de l’Histoire. Il s’enracine dans un nouvel apprentissage qu’il espère plus objectif.

Sess est né à Toupah (Sud-Ouest de la Côte d'ivoire), au sein d’une famille lettrée et religieuse qui lui enseigne les bases de la rigueur. Il devient un enfant modèle et pieux, fasciné par la pratique quotidienne de son père de consigner tous les événements du quotidien dans un registre. Au travers de la lecture encouragée par ses parents, Sess porte son attention sur la littérature, l’histoire et se passionne pour les célébrations et les rites traditionnels de sa communauté à laquelle il reste toujours très attaché. Il est également enchanté par la religion catholique, son cérémonial, sa musique qui l’émeut et toute l’imagerie biblique illustrée de façon fantastique dans les livres pieux mais aussi dans le décor foisonnant des églises.

Enfant presque parfait, bien loin de l'image de mauvais garçon qui lui est parfois attribuée, sa confrontation plus tardive au monde urbain d’Abidjan où il étudiera va remettre en cause certains de ses acquis et émousser en partie ses certitudes. Il découvre un monde agité et déséquilibré, vénal et injuste, trop souvent violent. Il se mêle à une jeunesse bien différente de celle côtoyée au village et qui n’a pas reçu son éducation bienveillante : une jeunesse multiculturelle qui se débrouille à codifier ses univers diversifiés selon des critères et des narrations très personnels, qui le surprend autant qu’elle l’ouvre à la diversité et au champ de la multiplicité des ressentis et des interprétations plurielles ! Il découvre que, si l’humanité est une entité, chaque division est finalement fondée sur une illusion individuelle, culturelle ou politique ; que la connaissance mal-acquise et mal-comprise, l’idéologie instrumentalisée nous fractionnent et hélas nous opposent.

Fort de ces expériences, une voie plus rebelle s’ouvre à lui, inscrite dans l’analyse critique de la société, témoin de l’érosion du positivisme mais aussi de la falsification de l’Histoire. Il s’enracine dans un nouvel apprentissage qu’il espère plus objectif. Cette autre voie de conscience le porte vers la philosophie et redore davantage encore l’image idéalisée d’une autre vie, celle de son enfance rurale à Toupah.

La synthèse possible de l’entrechoquement des influences et expériences si diverses aboutira à l’expression plastique qui lui permet de s’abstraire, de jouer avec les mots et les formes, des questionnements sans limite autre que celle du médium. Cette quête de liberté s’inscrit pleinement dans une catharsis quelque peu baroque, où le Sens profond doit fonder toute Création. Sess devient le conceptuel incontestable de sa génération d’artistes. L’utilisation de la poésie, de l’écriture conduisent et portent naturellement ses questionnements sur l’essence d’une histoire à relire et à recomposer et d’une critique fondamentale et permanente de la société urbaine contemporaine. L’addition des connaissances des apprentissages et des questionnements est formalisée au travers des collages ou l’apport de feuilles dorées, les formes dialoguent avec les signes, qu’ils soient alphabétiques ou issus des traditions anciennes, tels les Adinkras, dans un bavardage appelant le spectateur à douter de ses acquis et à pourfendre ses certitudes.

Pédagogie provocatrice, la mise en séquences et en épisodes de sa production vise à théâtraliser une société imaginaire mais symbolique de notre monde, telle une grande parodie de la comédie humaine dans laquelle « l’économie prime sur le politique tout comme la forme prime sur le sens ». Ses acteurs sont l’évocation de figures caricaturales, ainsi les Hommes de Plâtre, représentant les gens ordinaires habitant la cité de Plâtre, sont exposés à la corruption, à la médiocrité et aux vices et conversent bruyamment dans une syncope proche de la cacophonie, de la vaine gesticulation, du vertige brouillon aboutissant à la médiocrité… Gribouillage ! La cité d'Albâtre est un lieu hautement sélectif, qui abrite entre autres, nobles et utopistes. Cette cité est à fois le modèle idéal de société dont rêvent les plus éclairés et le sanctuaire compartimenté des utopistes. Les Cardinals sont les maîtres des horloges. Maîtres de midi, maîtres de minuit. Devins immortels, ils sont les arbitres de cette grande comédie : 20h20 l'année où tout aurait dû se remettre dans la bonne marche, ou basculer au contraire dans la dérive / 21h21 le temps n’a pas changé, tout semble arrêté, sauf le grand bavardage qui gribouille tout l’espace.

Vertigo Jazz est l’aboutissement fortuit de ces tensions dans lesquelles nous sommes en quête du it dirait Jack Kerouac, de la dissonance dans le contrepoint de Bach, instant rare de réconciliation intime, moment de plénitude où le bavardage se tait dans un apaisement salvateur. Nyansapo est le signe qui exprime l'aboutissement de sa quête, le Silence est d’Or, la quiétude est enfin là, accomplie.

Amédé Régis Mulin